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Laboratoire

du Groupe de recherche 

en Paléobiologie et biostratigraphie des Ammonites

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Le levé de coupe : un outil indispensable au paléontologue

Cette page illustre un article de D. BERT et S. BERSAC (paru dans "Fossiles", n°6, 2011 - http://www.minerauxetfossiles.com) sur la technique du levé de coupe. Un PDF de l'article est disponible ici.

La Finalité
exposé du problème
La Finalité
la remédiation
La Finalité
les attentions particulières
La Méthode
généralités
La Méthode
la
technique de terrain
Conclusion

LA FINALITÉ

Exposé du problème

       La paléontologie est une science de l’évolution du vivant qui utilise les restes des organismes conservés à l’état de fossiles, ainsi que toutes leurs manifestations (ichnologiques ou autres). Le nom même de fossile, du latin fossilis, "que l’on extrait de la terre", indique la façon dont on les trouve. 

     Pour le scientifique le fossile en tant que tel, isolé de son contexte, n’apporte qu’un nombre très limité d’informations, tout le complément nécessaire à une quelconque étude étant resté sur le terrain même d’où on l’a extrait. Ceci peut être extrêmement gênant s’il est impossible de replacer le fossile dans son niveau d’origine, comme par exemple dans le cas des collections anciennes si le gisement a disparu, ou encore si tous les bancs fossilifères (ou la plupart) se ressemblent...

 

Emericiceras in situ

 

(c) G. Delanoy

     Comment imaginer dans ces conditions pouvoir établir une relation phylétique entre diverses espèces, et de là comprendre les mécanismes de leur évolution, si l’on ignore tout du contexte initial de leur récolte et donc de leur succession dans le temps ? Encore faudrait-il pouvoir les remettre dans le bon ordre ! 

     Pour remédier ce problème, il faut réunir le maximum d’informations possibles sur le lieu même de la récolte, de manière à ce qu’une étude ultérieure puisse se baser sur les faits observés macroscopiquement sur le terrain.

La remédiation

       Tous les renseignements nécessaires au paléontologue peuvent être emmagasinés lors d’une opération de « levé de coupe ». L’intérêt premier de cette méthode est directement hérité des trois premières lois historiques de la géologie : celles publiées par le savant danois Nicolas Sténon en 1669 dans son ouvrage "De solido intra solidum naturaliter contento dissertationis prodromus". Ces lois sont celle de l'horizontalité primaire des sédiments, du principe superposition des strates, et du principe de la continuité latérale des couches sédimentaires.

Nicolas Sténon (1638-1686) 

 

 

Strates dans le Bajocien des Alpes-de-Haute-Provence

     Les couches géologiques sédimentaires présentent un empilement successif de strates subordonnées les unes aux autres dans un ordre précis. Dans des conditions "normales", le principe de superposition indique par conséquent que les couches les plus basses dans une série donnée sont celles qui se sont déposées en premier et sont donc les plus anciennes. Bien entendu ce n'est plus vrai dans certains cas liés à la tectonique, ou certains phénomènes sédimentaires.

     Il en découle tout naturellement que les fossiles trouvés dans ces strates ont la même disposition/succession dans le temps : un fossile trouvé dans une couche stratigraphiquement plus basse qu’une autre sera plus ancien que celui trouvé dans cette dernière et ainsi de suite. C’est le premier but du levé de coupe : établir une "succession des évènements".

     Ce principe est aussi à la base de la biostratigraphie : la datation des strates relativement les unes par rapport aux autres à partir des fossiles.

     Mais attention, la sédimentogenèse est une chose complexe et il n’est pas toujours bien certain que les fossiles aient le même âge que les couches qui les contiennent (même si c’est le cas le plus répandu). La succession stratigraphique (le dépôt des strates) n’est pas forcement l’équivalent de la succession registratique (qui concerne toutes les manifestations organiques dont les fossiles), ce qui ne remet pas forcement pour autant en cause le principe de superposition des fossiles !

 

     De manière à bien repérer la position stratigraphique du fossile lors de son prélèvement, le levé de coupe est un outil indispensable du paléontologue. Depuis le premier levé précurseur d'une coupe géologique par Lavoisier, ce processus est maintenant bien établi dans le monde scientifique depuis près d’une quarantaine d’années et est unanimement reconnu. 

     Les méthodes peuvent diverger selon les cas et s’adapter plus particulièrement à tel ou tel type de terrain, mais elles restent à la base de toute étude scientifique sérieuse. Elle doit être appliquée tant par le scientifique que par l’amateur confirmé ou le débutant. Il est très important de s’y conformer rigoureusement, car sans elle le fossile prélevé n’a que peu de valeur. 

     Cela implique que chaque spécimen soit catalogué dans un inventaire qui doit obligatoirement comprendre au minimum la localité précise de récolte, ainsi que le numéro de la strate dans laquelle il a été prélevé (voir plus loin la méthode). Au minimum ces informations doivent elles même figurer sur le spécimen (code de la coupe-gisement / n° de la strate de récolte). 

 

Une ammonite repérée banc-par-banc : SJD/148. 

SJD représente le code de la localité, et 148 le n° du banc d'où le spécimen provient.

Les attentions particulières

 

     Lors de l’opération de levé de coupe, il est nécessaire de toujours bien faire attention au fait qu’il n’existe pas d’unité temporelle définie de façon universelle. Les durées des évènements ainsi que les successions de faunes ne sont pas liées à l’épaisseur du sédiment dans lequel on les "lit". 

     Suivant les localités, pour un ensemble de couches du même âge, ces successions peuvent s’observer sur plusieurs dizaines de mètres voir plus (cas d’une sédimentation rapide) ou au niveau de quelques strates (cas d’une sédimentation plus lente), voire même dans certains cas extrêmes au niveau d’un seul banc seulement. Ces phénomènes nécessite une attention particulière de la part du chercheur. 

     Hormis les cas de "condensations" avérés, entre la base et le sommet d’un tel banc il peut exister, avec ou sans séparation nette, plusieurs successions de fossiles. Lors de fouilles peu minutieuses, cela a quelquefois conduit dans l’histoire certains paléontologues à parler de " mélanges de faunes", alors qu’en réalité le mélange a eu lieu uniquement dans le sac du collecteur ! 

     On le voit, les méthodes de recherches ont une influence considérable sur les données brutes, et ainsi bien entendu sur le résultat des études qui en découlent.

 

Différences d'épaisseurs du Barrémien entre la plate-forme (G), et le bassin (D).

 

LA MÉTHODE

Généralités

 

Le choix de la coupe

     Pour commencer le travail, il est nécessaire de débuter par le choix d’une coupe à lever. Celui-ci peut se faire de deux manières : à priori ou à posteriori.

     Dans le premier cas, il est préférable de sélectionner une coupe où la succession des strates est la plus facile à observer naturellement (carrière, talus, fossé, falaise, etc.), en évitant les zones trop perturbées par la tectonique et les glissements synsédimentaires, et en veillant le plus possible à lever les invisibilités éventuelles. Il faudra donc éviter dans la mesure du possible les zones d’éboulis ou de végétation trop dense. Ces invisibilités peuvent bien souvent être levées, soit latéralement en cherchant la continuité des strates, soit en déterrant la zone recouverte si celle-ci n’est pas trop enfouie.

     Dans le second cas, il s’agit de lever la coupe d’un gisement déjà connu. La méthode reste la même, mais les contraintes sont nécessairement (pas toujours !) plus grandes du fait de l’état même du gisement. 

 

Le matériel

     Il s’agit de reporter sur le papier la succession, à l’échelle, des strates que l’on observe sur le terrain. Le matériel nécessaire ( le "minimum syndical" est souligné) : 

  • - un carnet de terrain,
  • - un crayon à papier ou stylo bille (la plume est à éviter en raison des risque de bavures en cas d’humidité),
  • - un mètre : préférer le mètre pliant au mètre déroulant qui se déforme et qui a tendance à indiquer des épaisseurs quelquefois surestimées (1 cm d’erreur par niveau peut rapidement donner plusieurs mètres d’écart pour une coupe, même "peu" épaisse !), 
  • - un feutre indélébile pour numéroter directement les spécimens,
  • - de quoi emballer les fossiles récoltés.
  • - une bombe de peinture assez visible, mais en évitant tout de même les couleurs fluorescentes utilisées par la DDE ou l’ONF (de toute façon trop voyantes dans le paysage...),
  • - une carte topographique détaillée pour repérer le lieu précis du levé,
  • - un marteau et éventuellement une pioche (utile pour lever les invisibilités ou rafraîchir les affleurements),
  • - et éventuellement un appareil photo, une loupe, une boussole et un système de mesure d’angles.

 

 

La technique sur le terrain

 

     Pour commencer à lever une coupe, par exemple de type à alternance de calcaire en bancs et de marnes en interbancs, il faut d'abord repérer la succession, quitte à la nettoyer un peu.

     Ensuite il faut choisir un banc calcaire (niveau référent) à partir duquel on commencera la série à lever, par exemple le banc le plus bas accessible, ou un niveau repère facile à identifier. 

 

Succession nettoyée dans la coupe du Stratotype du Barrémien d'Angles (04).

 

 

Repérage du pendage du banc.

 

     Pour le levé en lui-même il faut tout d’abord mesurer l’épaisseur de ce premier niveau grâce au mètre pliant, en prenant grand soins de prendre la mesure perpendiculairement au niveau en question (et pas à la cassure de l’affleurement !). Il faut faire bien attention au pendage des couches en profondeur qui n’est pas forcement parallèle au front de taille de la strate.

     Puis de la même manière on mesurera l’interlit sus-jacent, etc. jusqu’à la fin de la série.

 

Le mètre doit être placé perpendiculairement au pendage.

 

La mesure peut être lue.

Nettoyage de l'interbanc marneux...

 

...et sa mesure à l'aide du mètre.

 

     Les mesures effectuées doivent être soigneusement reportées sur le carnet de terrain, où la coupe est elle-même schématisée. 

L'indispensable carnet de terrain.

 

     Parallèlement un numéro est porté sur le banc lui-même (sauf si vous voulez que la coupe reste "discrète", ou si vous êtes sûr à 100% de vous retrouver la fois suivante) à l’aide de la bombe de peinture ou du feutre. Cette opération peut être effectuée à la fin en guise de "relecture" de la coupe. 

     Le choix des numéros est libre si la coupe n’a jamais été publiée, dans ce cas on peut par exemple commencer par le n° 10 ou 100, etc... On évitera le plus souvent les premiers numéros afin de garder la marge de manœuvre nécessaire pour numéroter les bancs sous-jacents qui pourraient éventuellement apparaître par la suite. L’opération est renouvelée jusqu’au dernier banc visible, ou jusqu’à un nouveau niveau repère au-dessus duquel on arrêtera l’étude, sans oublier de mesurer les interlits marneux.

 

     En revanche, si la coupe a déjà été étudiée par une autre équipe et surtout si elle est publiée, il est souhaitable de réutiliser les numéros déjà attribués. Dans le cas ou le premier levé effectué serait différent du nouveau, soit par manque de bancs, soit au contraire par un surnombre, il est conseillé de conserver néanmoins la première numérotation (par exemple 148, 149, 150, 151). Afin d’éviter toute confusion dans les succession de fossiles, si un banc numéroté en trop par les auteurs est à supprimer alors il faut le faire sans décaler les numéros (ce qui donnera 148, 150, 151). A l’inverse, s’il manque un ou plusieurs bancs, on peut les rajouter de la manière suivante (148, 148-1, 148-2, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150, 151-1, 151-2, 151-3), là encore sans décaler les numéros. 

 

La coupe d'Angles et les n° de bancs correspondants.

 

Levé effectué dans des "ammonitico rosso".

 

     D’une manière générale, le numéro du banc concerne le banc plus l’interlit marneux immédiatement susjacent. Par exemple, si un fossile a été récolté dans l’interlit au dessus du banc 150, il portera le numéro 150m. Dans certains cas, pour les " ammonitico rosso" par exemple, ces interbancs pourront être numérotés séparément s’il présentent un intérêt particulier, tout en essayant de garder une certaine cohérence dans la coupe.

 

     Parallèlement à la mesure des épaisseurs il faut reporter sur le carnet toutes les observations effectuées :

  • - nature du banc (calcaire marneux, marno-calcaire, etc.),
  • - sa couleur à l’affleurement et à la cassure,
  • - présence de glauconie, d’oolithes ferrugineuses, etc.
  • - si la surface du banc est ondulée,
  • - indices de la présence de fossiles,
  • - présence d’encroûtements ferrugineux, alguaires, hard-ground...
  • - etc.

 

     De retour chez soi, il faut remettre la coupe au propre, de préférence par l’intermédiaire d’un logiciel informatique (un simple logiciel de dessin suffit), ou à défaut à la main avec les outils à dessin classiques (règle graduée, équerre, etc.). Le schéma définitif sera fait à l’échelle, variable selon les besoins.

     Les observations lithologique faites sur le terrain sont reportées sur le dessin au propre à l'aide de figurés codifiés (silex dans le banc 883a, etc.).

     Les figurés utilisés pour la mise au propre sont disponibles ici.

Un exemple de log au propre.

 

     Lorsque tout est dessiné, il est possible de passer à l’échantillonnage de la coupe. En théorie tous les niveaux doivent être exploités avec la même intensité, mais dans la pratique ce n’est pas toujours possible.

     Tous les fossiles, de même que les fragments (déterminables), doivent normalement être récoltés et référencés banc par banc à l’aide d’un feutre indélébile (sur le terrain) ou à l’aide d’étiquettes, et dans ce cas emballés séparément. 

     De retour au labo, les fossiles doivent être en plus référencés et numéroté. Pour se faire, l’emploi d’un support au "correcteur blanc", d’un numéro à l’encre de chine, et d’un coup de vernis incolore par dessus, convient parfaitement.

 

     Si des fossiles n’ont pu être dégagés mais ont été observés en place (c’est-à-dire dans un niveau précis et corrélable sur la coupe), ils seront notés sur le carnet de terrain, et éventuellement photographiés in situ.  D'autre part il peut être très intéressant de repérer la position des fossiles dans le banc (hauteur relative dans le cas de niveaux "concentrés" par exemple). 

     On veillera aussi à noter si les fossiles sont disposés selon un alignement précis, s’ils sont regroupés en "poches", s’ils sont fossilisés horizontalement ou verticalement ou disposés en tout sens, s’ils sont entiers ou brisés, etc.

Petite faille décalante.

 

     Lors du levé de coupe, il conviendra d’être particulièrement attentif au problème que peuvent poser les failles. Certaines d’entre-elles, très réduites, ne se voient que difficilement mais peuvent néanmoins provoquer une gêne par le décalage, d’un ou plusieurs bancs, qu’elles suscitent. 

     Il faudra donc effectuer des corrélations de part et d’autre de celle-ci, et l’expliciter sur le carnet de terrain

 

CONCLUSION

 
 

     A la base de toute étude paléontologique, le levé de coupe permet de réunir et de pérenniser l’ensemble des matériaux bruts nécessaires au travail scientifique. Ce travail permet d’une part de retranscrire et de sauvegarder une partie de ces informations qui pourraient ne plus être accessibles par la suite (chamboulement du terrain par exemple), et d’autre part de réaliser une exploitation des données obtenues, en confrontation avec d’autres renseignements, lors d’une étude éventuelle. 

     Aucune étude biostratigraphique ou évolutive sérieuse ne peut être entreprise sans un repérage précis des fossiles.

     Le levé de coupe est une composante à part entière du travail scientifique. C’est seulement grâce à ce travail de base qu’il est possible de bien comprendre l’évolution des êtres vivants, et plus généralement de bien appréhender les phénomènes survenus sur notre Terre et qui ont conduit au monde que l’on connaît aujourd’hui.